Ce n’est qu’une élection, ni le paradis, ni l’apocalypse.

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Cela me fait rire de voir les gens qui paniquent et craignent l’apocalypse après l’élection présidentielle. Premièrement, il ne s’agit que d’une élection et la probabilité que le résultat change quelque chose est quasi nul. Le candidat élu, quel que soit son idéologie, va devoir faire face aux rapports de force qui existent dans la société. Même s’il a la majorité à  l’assemblée nationale, il devra obligatoirement faire des compromis pour plaire aux différents groupes d’intérêts qui s’affrontent.  

On peut toujours s’amuser à  passer en revue les différents candidats:

  • Macron, c’est le plus simple à  analyser. On se retrouvera avec une politique menée business as usual: des mesures de libéralisation de l’économie, la pérennisation de baisses des prélèvements sur les entreprises (comme le CICE) et une baisse des dépenses publiques. Le tout saupoudré de mesures sociales et de relance (hausse des allocations, dépenses en infrastructures publiques). On peut s’attendre à  ce que les allocations n’augmentent pas et que les investissements publics soient moindres que prévus. Comme tous ses prédécesseurs, le gouvernement de Macron découvrira que baisser le nombre de fonctionnaires et couper en préservant une relative qualité du service publique s’avère être compliqué. Certains craignent un « modèle ultralibéral et privatisé à  outrance« . Ce n’est pas forcément faux mais il faudra voir aussi comment se passe le rapport de force dans la rue et au parlement. Le programme de Macron est vague et sa majorité risque d’être très hétéroclite, ce qui n’exclue pas le risque d’accrochage interne quand il s’agira de prendre des mesures.
  • Fillon, pas très compliqué non plus. Ce sera retour en 2007: discours nauséabond sur l’immigration, nationalisme porté aux nues, aucune avancée en matière de mœurs et politique d’austérité. On pourra certainement s’attendre à  quelque chose qui ressemblera à  la révision générale des politiques publiques (rgpp). Des postes seront non remplacés sans aucune réflexion sur le périmètre de l’Etat avec un bilan mitigé comme on a pu l’observer par le passé. Là  aussi, la mobilisation dans la rue jouera un rôle dans le rapport de force. C’est vraiment ça qui va déterminer la capacité du gouvernement à  mener ou non des réformes.
  • Le cas Le Pen ressemble au précédent mais en pire. On peut s’attendre à  une utilisation massive des fiches S. Il est clair que les militants de gauche radicale risquent de se retrouver nettement plus embêtés par un fichage intense. Pour les migrants, la vie va nettement se compliquée aussi puisqu’ils vivront un accroissement de la répression et encore plus de péripéties administratives. Les policiers se sentiront parfaitement légitimés dans leur action entraînant un accroissement du nombre de bavures policières. Par contre, on peut être beaucoup plus sceptique sur la sortie de l’euro. Ce n’est pas sûr que l’opinion publique la suivra, loin de là . Pareil pour le rétablissement de la peine de mort, on peut imaginer une vive controverse avec une pression internationale intense. Il semble difficile d’aller jusqu’au bout. Il ne faut pas oublier que le FN est très divisé avec une aile plutôt interventionniste (incarnée par Philippot) et une aile ultra-conservatrice (incarnée par Maréchal-Le Pen). Vu le flou du programme du FN, ce ne serait pas étonnant que les deux camps se déchirent une fois au pouvoir. Cela risque de paralyser nettement l’action d’un gouvernement frontiste.
  • Le cas Mélenchon pose aussi la question de son réalisme en matière de politique européenne. Son plan A consiste à  renégocier les traités européens (ce qui suppose que les autres pays acceptent). Si le plan A ne passe pas, il faut passer au plan B qui est la sortie des traités. Cette approche a fait dire à  Piketty (soutien de Hamon) que JLM ne croit pas à  son plan A. Il semble peu probable que les Allemands soient prêts à  renier leurs convictions de même que les Pays-Bas et à  peu près tous les pays d’Europe de l’Est. Si les Français disent non à  la sortie des traités, ce sont 100 milliards d’euros d’investissement public qui tombent à  l’eau. JLM veut les financer par le seigneuriage (la création monétaire), ce qui est possible que si les traités européens changent ou que la France quitte l’euro.

 

Sortir des traités créerait une vive incertitude et une possible perte de débouchés risquant de pénaliser l’emploi. Il n’est vraiment pas certain que les syndicats voudront le suivre sur ce terrain.

Je rappellerai en particulier ici combien les ouvriers des métiers de luxe sont intéressés à  la prospérité des classes riches et combien de multiples catégories de travailleurs de différentes localités ont intérêt à  ce que le «commerce» marche, y compris au détriment de d’autres localités et si cela porte préjudice à  la production utile à  la masse. Et ne parlons pas de ceux qui travaillent à  des choses préjudiciables à  la société et aux particuliers, quand ils n’ont pas d’autres moyens de gagner leur vie. Essayer donc, en temps ordinaire, quand la foi en une révolution imminente n’existe pas, de persuader les ouvriers des arsenaux menacés de perdre leur travaille de ne pas mendier auprès du gouvernement la construction d’un nouveau cuirassé. Et résolvez donc par des moyens syndicaux et en rendant justice à  tous, si vous le pouvez, le conflit entre les dockers qui n’ont pas d’autre moyen d’assurer leur gagne-pain qu’en monopolisant le travail au bénéfice de ceux qui exercent ce métier depuis un certain temps, et les nouveaux arrivés, les journaliers, qui mettent en avant leur droit au travail et à  la vie.

Errico Malatesta, Umanità  Nova, 6 avril 1922

Mélenchon est un des candidats qui crée le plus de réactions exacerbées, certains voyant le bolchévisme à  leur porte (comme Christophe Castaner, porte-parole de Macron).

Ce qui amuse le clan Mélenchon et qui est ravi de se retrouver comme la cible principale des partisans du statu quo libéral:

Les soutiens de Jean-Luc Mélenchon ne s’étonnent pas de ces attaques venant de toutes parts. « C’était un peu prévisible. A partir du moment où on est en capacité de l’emporter, c’est un peu normal que le système réagisse » selon Eric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche. « J’accueille ça avec un vaste éclat de rire, tellement tout ça et grossier et caricatural. Tous s’allient contre nous. C’est une forme d’hommage du vice à  la vertu » nous expliquait hier Alexis Corbière, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon. « Il y a une dynamique populaire telle autour de Jean-Luc Mélenchon que tous les défenseurs de l’ordre actuel sont terrorisés. Ils racontent n’importe quoi. C’était les mêmes qui expliquaient en 1981 que les chars russes allaient défiler sur les Champs-Elysées » ajoute le porte-parole.

  • On terminera par le cas Hamon. En ce qui le concerne, les critiques venant du camp de Mélenchon sont plutôt valides. D’abord, ses plans de relance risquent d’être contrecarrés dans le cas des traités actuels (notamment avec une BCE qui a pour objectif premier la lutte contre l’inflation). Il devra composer avec l’Allemagne et les Pays-Bas sachant qu’Hamon ne menace pas de sortir des traités, ce qui risque de diminuer d’autant plus son rapport de force. Il devra aussi composer avec le PS dont une bonne partie ne lui est pas vraiment fidèle.

Que faire?

Vous voulez espérer changer un chouilla les choses? Faîtes du lobbying. Vous n’avez pas le carnet d’adresses? Vous avez compris le problème et pourquoi certains groupes d’intérêts argentés sont très puissants. Ou alors vous avez la chance d’être dans une asso qui compte de nombreux bénévoles, ce qui permettra de partager votre temps pour harceler les hauts dignitaires. Vous pouvez espérer ainsi dégoter quelques rendez-vous. Vous devrez mener ce travail dans la durée pour établir des relations à  terme avec vos cibles et espérer que dans cette relation de confiance, vous les amènerez à  changer d’avis. N’oubliez pas que d’autres groupes représentent des intérêts opposés aux vôtres et s’ils ont de l’argent, ils peuvent payer des lobbyistes qui turbinent à  plein temps. 

Que l’élu que vous ayez en face de vous soit de gauche ou de droite ne change rien. L’ouverture d’esprit n’est pas le monopole d’une idéologie. Les individus sont plus ou moins sensibles à  l’image qu’il donne et à  l’idée de faire des mécontents. N’oubliez pas qu’il s’agit de personnes venant des mêmes écoles avec le même formatage. C’est un petit monde et ils sont tous interchangeables.

Bref, rassurez-vous et vaquez à  vos occupations. Pas grand chose ne changera en raison de l’inertie des institutions. Dans le pire des cas, s’il n’y a pas de majorité à  l’assemblée nationale, ce sera une crise institutionnelle et aucune loi ne sera votée, donc ça changera encore moins.

La moralité de l’histoire n’est ni l’abstention ni l’appel à  voter. Faîtes ce qui vous plait. Sachez simplement que l’élection n’est qu’un élément parmi tant d’autres. Evidemment, si Poutou faisait 15% des voix, c’est sûr qu’on entendrait des échos beaucoup plus favorables à  l’anticapitalisme dans les discours des différents hommes politiques. Néanmoins, il ne faut jamais oublier la différence entre les discours et les actes. Les grandes réformes sociales ont été obtenues par des salariés qui ont lutté dans des conditions difficiles. S’il n’y avait pas eu les « grèves joyeuses » avec l’occupation des usines en 1936, ce n’est pas certain que les accords de Matignon auraient abouti aux congés payés sous l’égide du front populaire. La revalorisation des salaires de 25% lors des accords de Grenelle en 1968 n’aurait jamais eu lieu non plus sans le mouvement social. Enfin, le CPE n’aurait jamais été retiré en 2006 sans les manifestations. Nous devons tous avoir en tête que la manifestation finalement, c’est un peu le « lobbying du pauvre », de celui qui n’a ni le carnet d’adresse ni l’argent. Quand on n’a pas de moyens, on ne peut exister qu’en se manifestant publiquement pour montrer qu’on existe et en mettant des bâtons dans les roues pour gêner, histoire d’attirer l’attention.

En une phrase, les politiques menées sont le fruit d’un rapport de force continu dont l’élection n’est qu’une étape. Encore plus simple: 1 année de campagne électorale, 4 ans de lutte.

 

3 comments
  1. la droite a peux être perdu la bataille des mœurs mais au moins elle a gagner la bataille économique , ce n’est plus qu’une question de temps avant que les résidus du collectivismes qui reste accrocher a l’état soit aboli et que le vrai libéralisme arrive , a votre grand désarroi et a ma grande Schadenfreude , prochaine étape la secu

  2. Force est de constater que je suis entièrement d’accord avec vous.
    Cette élection (si s’en est une ?) nous offre le chant du cygne d’une démocratie en déclin.
    Rien ne change. Avec son gouvernement « jeune est dynamique » qui fait du vieux avec du neuf nous aurons probablement la sensation de régresser et nos acquis sociaux chèrement défendu s’en vont peu à  peu en fumée. Cependant, je pense qu’un Mélanchon , un Fillon ou un Hammon aurait fait exactement la même chose que s’apprête à  faire monsieur Macron .
    Alors, quitte à  être à  cette extrémité autant utiliser les armes à  notre disposition et faire du lobbyisme comme vous dites !

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