Bilan de la cour des comptes sur les réanimations : que faire ?

Dans son rapport public annuel publié le 18 mars 2021, la cour des comptes a dressé un bilan de l’action des services publics pendant l’épidémie en 2020. Un chapitre est consacré aux services de réanimations qui ont été particulièrement sollicités pour traiter les cas critiques de Covid 19. Dans son introduction, la cour souligne la nature particulière de ce service qui est l’ultime recours pour les patient·e·s qui y sont traité·e·s :

«  La réanimation constitue une activité hospitalière très spécifique […]. Elle concerne des patients au pronostic vital engagé qui ont besoin, 24h/24, de soins et de surveillance par des professionnels, avec des techniques dont la nature, le nombre et la disponibilité effective sont étroitement réglementés. Pour ces patients, il n’existe pas d’alternative à une hospitalisation en urgence dans une unité de réanimation […] La réanimation est la composante la plus visible d’un ensemble plus large d’activités rassemblées sous le terme de soins critiques, comprenant aussi les soins intensifs et la surveillance continue : organisés en France depuis 2002, les soins critiques ont en commun la mission de prévenir, diagnostiquer et traiter les défaillances d’organes vitaux chez des patients en situation critique dont le pronostic est grave, mais potentiellement favorable. »

Rapport public annuel 2021, Cour des Comptes, pp. 149-150

Il est précisé dans le rapport de la cour des comptes que
« les soins intensifs ont vocation à prendre en charge des patients présentant une défaillance d’un seul organe » et « les unités de surveillance continue (USC) assurent la prise en charge des malades qui nécessitent une observation clinique et biologique répétée en raison soit de la gravité de leur état, soit du traitement qui leur a été dispensé. »

Selon la cour des comptes, les services de réanimation étaient “mal préparés”, certes, car anticiper ce type d’épidémie est difficile mais aussi à des choix de politiques publiques qui ont été faits. Les services de réanimation font face à des flux de plus en plus importants d’entrées chaque année à cause du vieillissement de la population. Le pic est visible sur ce graphique de la cour des comptes :

Evolution de l’activité hospitalière en soins critiques en fonction de l’âge des patients, p.163

La cour des comptes ajoute que le taux de croissance annuel moyen de la population de plus de 65 ans en France entre 2013 et 2019 était de 1,7% par an, soit un bond de 10,6% sur la période. Parallèlement, le nombre de lits en réanimation n’a progressé que de 0,17% par an, soit de 1% lors de ces six années. D’où ce constat de la cour:

« De fait, le taux d’équipement en lits de réanimation n’était plus que de 37 pour 100 000 habitants de plus de 65 ans à la veille de la crise sanitaire, alors qu’il était de 44 pour 100 000 habitants en 2013. Si la France avait conservé son ratio nombre de lits/population de plus de 65 ans de 2013, elle aurait disposé, au début de la crise covid, de 5 949 lits de réanimation adultes, contre 5 080 constatés au 1er janvier 2020. »

Rapport public annuel 2021, Cour des Comptes, p. 164

La population continuant de vieillir, le besoin en termes de lits critiques ne fera qu’augmenter ces prochaines années, ajoute la cour des comptes. Le gouvernement a en partie répondu à ce problème comme l’expliquent les journalistes Nicolas Berrod et Stanislas de Livonnière :

« D’après les derniers chiffres transmis au Parisien par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), au 30 mars, 7906 lits de réanimation sont actuellement « armés ». C’est près de 2500 de plus qu’en temps normal (5433 avant la crise, d’après les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Cette hausse de 45 % prouve qu’un effort a été fourni pour faire face à la crise du Covid-19. Lors de la première vague, ce nombre avait même largement dépassé 10 000. […]
Au niveau national, un peu plus de 7000 de ces lits sont occupés, en petite majorité (environ 3800, comme on l’a vu) par des patients atteints du Covid. Cela signifie que 90 % des lits de réanimation disponibles sont actuellement occupés. L’écart jusqu’à 100 % fait en quelque sorte office de « matelas » pour pouvoir prendre en charge à tout moment des victimes d’accidents de la route, par exemple. D’ailleurs, « avant la crise sanitaire, le taux moyen d’occupation d’un service de réanimation était déjà en moyenne de 90 % », indique la DGOS. Mais « ce taux d’occupation des réanimations, du fait de l’extension des capacités et du nombre de lits, confirme un niveau nettement supérieur au niveau hors crise », ajoute-t-elle. »

Covid-19 : 100% d’occupation en réanimation, vraiment ? Le point sur des chiffres tronqués, Nicolas Berrod et Stanislas de Livonnière, Le Parisien, 03/04/2021 
6-VSW74-BW6-ZEQDJMEAHSEH6-DVPQRWDQU242-H5-B7-FBQTS5-U2-PTMGSE

L’objectif du gouvernement est d’atteindre 10 000 lits de réanimation prochainement, engendrant deux difficultés selon Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC):

  1. Il s’agit de lits éphémères pris d’autres services et pas d’aussi bonne qualité
  2. L’augmentation du nombre de lits ne fait qu’alimenter la pénurie de personnel déjà existante

Comme le précise la cour des comptes p. 169, « les effectifs en réanimation sont réglementés : deux infirmiers pour cinq patients (de jour comme de nuit) et un aide-soignant pour quatre patients ». Or, les services de réanimation ont un problème d’attractivité car la spécificité des compétences infirmier(e)s de soins généraux diplômés d’État (IDE) en soins critiques n’est pas reconnue :

« Trois fois plus nombreux que les médecins, les 28 000 infirmier(e)s de soins généraux diplômés d’État (IDE) exerçant en soins critiques en constituent les « piliers » : 52 % du temps de travail total consacré par une équipe hospitalière de réanimation au lit du patient est effectué par les IDE (à la différence de pays comme l’Allemagne, la Belgique et la Suisse ). Ils sont à 95 % non spécialisés – seuls 5 % sont infirmier(e)s anesthésistes diplômés d’État (Iade), infirmier(e)s de bloc opératoire diplômés d’État (Ibode) ou cadres de santé. En effet, la France n’exige pas de diplôme de spécialisation infirmier pour exercer en soins critiques. De plus, depuis la réforme des études de 2009, les futurs IDE ne reçoivent pas de manière systématique de formation initiale à la réanimation et seule une minorité d’élèves a accompli l’un des six stages obligatoires au sein d’une unité de soins critiques. »

Rapport public annuel 2021, Cour des Comptes p. 168

Ces « piliers » de la réanimation sont soumis à des conditions de travail difficiles, ce qui entraîne un turn-over important :

« Les conditions de travail sont exigeantes, avec souvent une organisation du temps de travail en 12 heures : mieux adaptée à des prises en charge lourdes, elle peut induire une pénibilité supplémentaire. L’importance du turn-over suscite des tensions qui favorisent à leur tour des départs plus rapides, créant ainsi une spirale préjudiciable aux services.

Dès lors, il conviendrait de mettre en place une formation qualifiante et reconnue d’infirmier en réanimation, non obligatoire pour exercer dans ces unités : cela permettrait de donner des perspectives professionnelles à des infirmiers et d’améliorer la stabilité et la qualité des équipes. Par ailleurs, la formation initiale des infirmiers devrait systématiquement inclure des enseignements et stages en soins critiques. Enfin, des modules de formation paramédicale continue aux soins critiques devraient être disponibles dans tous les établissements de santé pour les IDE qui le souhaitent : cela conduirait à des équipes mieux aguerries et permettrait, en cas de besoin, la mobilisation rapide de personnels formés. »

Rapport public annuel 2021, Cour des Comptes p. 170

La cour des comptes n’évoque pas la question des rémunérations dans son rapport, qui est aussi un facteur clef de l’attractivité. Pourtant, comme le note la journaliste Sabine Germain :

« [Les] soignants [ont] bénéficié de 8 milliards d’euros d’augmentation de salaire accordés dans le cadre du Ségur de la santé. Mais cela n’a permis de rattraper que partiellement le retard français : les salaires de nos infirmiers restent inférieurs de 10 % à la moyenne européenne. »

La France manque toujours autant de lits de réanimation, Sabine Germain, Alternatives Economiques, 01/04/2021

Parallèlement, la cour des comptes appelle à ouvrir plus de postes de médecins en réanimation. Or, embaucher des gens en plus, ça coûte cher et la tarification à l’activité (T2A) des hôpitaux n’engage pas à le faire. Le propre de l’activité des réanimations est justement d’avoir une part de lits vides pour garder de la marge donc d’être en partie inactif. Un lit de réanimation engendre 115 000 euros de perte par an pour un hôpital. Le problème est alors de rémunérer des capacités non utilisées.

« Chaque fois qu’il y a une décision à prendre, qu’il s’agisse de gérer les entreprises ou de gouverner les nations, l’habitude s’est instaurée de construire des modèles probabilistes du futur et de les calibrer sur le passé. C’est le règne du calcul économique, où l’on compare les profits et les coûts en les pondérant par leurs probabilités respectives.

L’imprévu, c’est le rappel à la réalité. La Covid-19 montre à l’évidence que l’histoire n’est pas finie, et que l’avenir est plus riche que le passé. La première conclusion est qu’il est imprudent de dimensionner le système de santé sur le train-train des années écoulées : il faut le surdimensionner pour affronter une pandémie. Cela ressemble au problème d’EDF (du temps où elle avait le monopole de la distribution d’électricité) : ce n’est pas la demande moyenne qui compte, c’est la demande aux heures de pointe ! C’est pour satisfaire celle-ci qu’il faut construire les centrales, quitte à ce que la plupart de celles-ci soient inutilisées une grande partie du temps. Ce surdimensionnement implique des coûts supplémentaires, qui doivent être pris en charge en partie par l’impôt et en partie par le tarif. De même, il est prudent d’avoir un système de santé surdimensionné par rapport aux besoins courants.

La deuxième conclusion, c’est que le rôle de l’État n’est pas seulement d’économiser les deniers publics, mais de parer à l’imprévu, ce que nul autre que lui ne peut faire. Pour cela il n’y a pas de recette, ni de calculs, il n’y a que le sens des responsabilités et un processus politique. Il faut surdimensionner le système de santé pour faire front à des imprévus : c’est le sens des responsabilités. »

Le calcul, l’imprévu, Ivar Ekeland in Covid-19: regards croisés sur la crise, p. 90-91, Mars 2021

La cour des comptes va dans le même sens dans son rapport en appelant à revoir le financement des réanimations. Elle souligne p. 173 de son rapport que « cette activité, qui a pour particularité de n’avoir aucune alternative possible dans le système de soins, doit voir ses capacités évoluer au regard des seuls besoins épidémiologiques et de la file active de patients en demande de soins. »

Enfin, la première recommandation de la cour des comptes est d’évaluer les conséquences en termes de santé publique des déprogrammations qui ont des conséquences parfois douloureuses pour les personnes concernées.

Cette stratégie [de déprogrammation] a permis d’atteindre les objectifs fixés. Les besoins programmés en réanimation, notamment ceux liés à une intervention chirurgicale lourde, ont largement diminué. La moindre fréquence de ces chirurgies majeures est apparue significative en avril (-50,3 %) et mai 2020 (-35,3 %), en comparaison des mêmes mois de 2019. De même, les séjours chirurgicaux, qui étaient en légère progression (+1,5 %) au cours des mois de janvier et février 2020 au regard de 2019, ont connu une baisse de 36,5 % en mars, 73,2 % en avril et 47,1 % en mai, sans qu’aucun effet de rattrapage ne puisse être documenté au cours des mois suivants. […] Cette chute de l’activité programmée s’est aussi accompagnée d’une baisse de près de 50 % des passages aux urgences au cours des mois de mars à avril 2020, qui s’explique, selon la direction générale de la santé, tant par la peur de la contamination de certains patients que par la baisse de la traumatologie.

Rapport public annuel 2021, Cour des Comptes p. 158
Nombre quotidien de passages aux urgences du réseau OSCOUR (tous âges), cour des comptes, p. 159

En conclusion, l’épidémie de Covid-19 a souligné les faiblesses structurelles des réanimations françaises qui étaient déjà plus remplies que les préconisations des sociétés savantes pour faire face aux tensions saisonnières. L’augmentation du nombre de lits, qu’elle soit pérenne ou temporaire, se heurte au problème de la pénurie de personnel notamment au sein des IDE qui fuient des conditions de travail peu attractives. Il faut ajouter à cela que les hausses temporaires pour répondre à l’afflux d’entrées en réanimation lié au Covid-19 entraîne des déprogrammations dans les autres services.

Evolution du nombre d’entrées quotidiennes en réanimation au cours des premiers semestres 2019 et 2020

Si bien sûr, il est souhaitable de mettre les moyens pour avoir des services de réanimation en bon état, le Covid-19 reste un imprévu face auquel la hausse du nombre de lits ne peut pas tout. Les mesures de politique non médicales comme le confinement, le port du masque, les couvre-feux, etc. ont permis de limiter (avec plus ou ou moins de succès) la circulation du virus et donc les entrées potentielles dans les services de réanimation. Soit dit en passant, c’est quand même pas plus mal, si on peut éviter à des personnes un séjour en réanimation. Ce dernier ne correspond guère à une partie de plaisir.

Merci à Anne-Coralie pour sa relecture attentive et pour avoir chassé les coquilles dans ce texte.

Hits: 628

Add Comment

Required fields are marked *. Your email address will not be published.

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.