La France, un pays libre ? Le glissement vers l’autoritarisme à  découvert.

En préambule, je rappellerai que l’État de Droit n’était déjà  pas une réalité pour tout le monde. En 2016, l’ACAT publiait un rapport intitulé « l’ordre et la force« . Il pointait du doigt les violences policières qui touchaient essentiellement des jeunes issus de minorité. L’ACAT notait que nombre d’entre elles avaient lieu lors d’interpellations suite à  un contrôle d’identité ayant mal tourné. Nombre de victimes étaient des jeunes personnes racisé·e·s qui avaient simplement eu le malheur de croiser des policier·e·s. Ce qu’illustra parfaitement un reportage de mediapart sur le harcèlement policier au quotidien de jeunes vivant dans le XIIe arrondissement de la ville de Paris. L’ACAT ajoutait que l’impunité des forces de l’ordre était quasi totale avec l’IGPN (la police des polices) qui est de mèche pour couvrir les manquements déontologiques des policier·e·s concerné·e·s. L’ACAT note aussi le parquet et les juges qui sont plutôt franchement ami·e·s avec les policier·e·s donc le système est biaisé contre les victimes.

Cela étant dit, revenons à  nos moutons. La répression du gilets jaunes a fait découvrir les violences policier·e·s à  une partie de la population peu concernée qui n’avait pas ou peu d’engagement militant antérieur. Là  aussi, rien de nouveau en soi. La répression de la ZAD avait mené à  une importante utilisation de grenades, notamment les GLI F4 qui comportent une dose de TNT. Des militant·e·s et des journalistes avaient été blessé·e·s. Une personne avait même été mutilée. Néanmoins, le soutien de la population envers la ZAD était beaucoup plus réduit que celui envers les gilets jaunes. Des événements comme le matraquage du burger king du samedi 1er décembre 2018 ont mis sous les projecteurs les violences policières en réunion sur des opposant·e·s politiques en France.

Bref rappel des faits : Des gens fuyant les affrontements, se réfugient dans un burger king. Le manager asperge propose même de l’eau aux personnes irritées par les gaz lacrymogènes. Les CRS entourent le restaurant de fast food, pénètrent à  l’intérieur et agressent les manifestant·e·s réfugié·e·s dans le bâtiment. Ces dernier·e·s sont systématiquement matraqu·é·e·s. Le journaliste de hors zone free press qui filme la scène fut à  son tour attaqué physiquement par un CRS qui voulait détruire les preuves de l’agression. Des journalistes de libération, présent lors du tabassage, ont témoigné de la scène auprès de konbini. Les journalistes notent qu’il n’y a eu aucune interpellation. La violence était donc gratuite. Elle n’avait pour but qu’elle-même. Ce que montre aussi cet exemple du 8/12 d’un manifestant qui reçoit un coup de matraque dans la tête parce qu’il chante.

Des faits de violence contre les opposant·e·s politiques et les journalistes sont loin d’être isolés dans la répression du mouvement des gilets jaunes. Dans la vidéo ci-dessous, on voit en moins d’une minute un manifestant pacifique levant les bras visé à  bout portant par un tir de flashball. Il ne représente aucun danger. Quelques secondes après, la même troupe de maintien de l’ordre lance une grenade contre un journaliste pourtant clairement identifié avec un casque marqué « presse » dessus en blanc sur fond noir.

On ajoutera aussi les deux photographes du parisien touchés par des tirs de flash ball à  bout portant. Des journalistes se sont aussi vus confisquer leur matériel. Bien que la police démente, les confiscations de matériel de soin comme le sérum physiologique ou le jus de citron sont monnaie courante. Le matériel de soin et de protection peut même servir de preuve contre les personnes arrêtées.

àŠtre un·e opposant·e politique peut vous mener en prison en France

En novembre 2018, vice publiait un article au titre éloquent, « Manifester peut vous conduire à  Fleury-Mérogis pour plusieurs semaines« . Lors de la manifestation du 22 mai, trois jeunes sont interpellés et sont déférés devant le parquet avec un dossier quasi vide. Contre un des prévenus, de maigres preuves matérielles seront avancées par la police mais elle s’est chargée rapidement de les détruire, empêchant toute contre-expertise.  Ils ont été placés en détention provisoire jusqu’à  leurs procès. Le chef d’inculpation utilisé est celui de « participation à  un groupement en vue de commettre des dégradations et des violences« . Ce délit est tellement flou que le fait d’être présent au mauvais endroit au mauvais moment suffit pour vous inculper et vous mettre en détention provisoire.

Pour y échapper,  il peut être tentant d’accepter la comparution immédiate mais la condamnation ne devient plus une probabilité mais une certitude. Le nombre de condamnations est très médiatisé donc le juge voudra faire du chiffre et expédier au dossier au plus vite car il n’y a pas que vous. Évidemment, ce n’est pas en sortant d’une GAV en une journée que vous aurez le temps de préparer correctement votre défense. Cette industrialisation de la justice est dénoncée par nombre d’avocats pénalistes et de juges. Mediapart a souligné les peines de prisons lourdes au titre de condamnations pour le délit de « participation à  un groupement en vue de commettre des dégradations et des violences« . Un cutter ou un masque à  gaz peuvent suffire à  vous faire condamner à  de la prison.

Comme le soulignait un avocat dans Vice :

Les arrestations aléatoires pour des infractions putatives [comme celles-ci] servent uniquement un discours politique de fermeté. Elles ne sont pas à  l’épreuve des faits et ne correspondent pas à  un État de droit.

L’État français s’était montré assez féroce dans sa répression envers des militants écologistes lors de l’état d’urgence. Le conseil constitutionnel avait validé sans souci ces mesures répressives, ce qui montre la faiblesse des contre-pouvoirs en France. Aujourd’hui, bien que l’état d’urgence ait été aboli, l’État français continue de viser des opposant·e·s politiques. Le porte-parole des gilets jaunes de Grenoble a été arrêté alors que le rassemblement était pacifique. La police a fait dégénérer volontairement la situation par cette interpellation :


On note aussi la mise en examen du président des Amis de la terre et de celui du Mouvement pour une alternative non violente dans la ville de Nancy. Ils avaient pourtant déclaré en préfecture la marche pour le climat qu’ils organisaient. Le préfet a voulu faire pression sur eux pour annuler mais ils ont maintenu la marche. En représailles, les deux militants pacifiques ont été arrêtés. On note aussi la perquisition du domicile d’une figure médiatique des gilets jaunes Eric Drouet pour une déclaration emportée sur un plateau télé. A vérifier, mais Francois Ruffin a déclaré être sous une enquête de la DGSI pour « sédition ». Enfin, Julien Coupat a été arrêté parce que l’on a trouvé dans sa voiture une bombe de peinture, un masque à  gaz et un gilet jaune. Pourtant, c’est la loi d’en avoir un …

La violence de l’État n’épargne personne. On dénombre des blessé·e·s graves chez les lycéen·ne·s. La scène humiliante de Mantes-La-Jolie, avec ces lycéen·ne·s mains sur la tête ou face au mur menotté·e·s comme si on allait les exécuter, montre une fois plus le traitement spécifique dégradant que l’on réserve aux banlieues. Face aux nombreux cas de mutilation par des lanceurs de balle de défense et des flashballs, leur interdiction d’usage par les forces de l’ordre est demandée par le défenseur des droits et des pénalistes.

Les personnes âgées sont aussi vulnérables. On a le cas d’une dame âgée de 70 ans visée par un tir délibéré de flashball à  bout portant lors de la manifestation à  Paris du 8 décembre. Elle ne présentait aucun danger. Une dame de 80 ans, Zineb Redouane, est morte suite à  un tir tendu de gaz lacrymogène en plein front alors qu’elle était à  la fenêtre de son appartement à  Marseille. Selon le parquet, ce ne serait pas « le choc facial n’est pas la cause du décès. » C’est vrai mais la personne est décédée sur la table du bloc opératoire en raison du choc facial subi. La police est donc bien responsable de sa mort. Il s’agit d’un homicide.

Comme l’explique le sociologue Matthieu Rigouste, « Il n’y a pas de ‘bavures’, mais un système de domination policière« . Les policier-e-s obéissent à  des ordres. Cette violence sert un but, dissuader toute personne d’attenter à  la stabilité du système économique (capitaliste). Si la tension est aussi grande aujourd’hui à  Paris, c’est bien car l’ouest de la capitale est un lieu de richesse et de pouvoir qui est aussi une vitrine pour les touristes. Si le mouvement a cédé sur le carburant, c’est bien parce que les blocus sur les routes du pays entraînent une perte pour des acteurs économiques.

Dénoncer les violences policières, c’est vous exposer au harcèlement des flics sur internet et de leurs soutiens (notamment leurs familles). Une enquête de vice sur les groupes ultra-haineux de flics sur internet est révélatrice. Les pages de flics publient régulièrement du contenu haineux, y compris raciste contre des opposant·e·s politiques et des détracteurs des forces de l’ordre. Les trolls pro-flics envahissent les espaces de commentaire. Leur violence est dissuasive envers toute personne qui souhaiterait commenter pour les contredire. Les flics savent que l’impunité est aussi totale pour elleux sur internet.

En résumé, les pratiques autoritaires de l’État français :

  • Confiscation de matériel de protection, de soin et d’enregistrement d’images.
  • Agressions physiques d’opposant·e·s politiques et de journaliste accompagnées d’une impunité des forces de l’ordre.
  • Utilisation d’armes mutilantes et létales comme des grenades et des balles à  caoutchouc sur des manifestant·e·s ne présentant aucun danger pour la vie des forces de maintien de l’ordre.
  • Arrestations arbitraires en nombre.
  • Détention provisoire de manifestant·e·s avec des dossiers vides et des inculpations vagues.
  • Condamnations de manifestant·e·s sur des preuves non concluantes.
  • Intimidation policières d’opposant·e·s politiques qui ont une envergure médiatique.
  • Homicide (involontaire ?) de civils

2 comments
  1. Chouette de voir que tu suis la Revue Ballast, j’y participe depuis… deux, trois ans ? Hum je ne sais même plus (je ne signe pas de grands textes brillants, je fais partie des petites mains qui relisent et tiennent des tables de presse ponctuellement ^^ D’ailleurs on a régulièrement besoin de relecteurs et de contributeurs !)

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