Le dividende n’enrichit pas les actionnaires mais cela reste un revenu

Le 13 mai, Sabrina Chikh, professeur associé à Skema Business School , et Pascal Grandin, Professeur de finance à l’Université Lille, publient une tribune dans the conversation intitulée « En finir avec une idée reçue: le dividende n’enrichit pas les actionnaires« . Les deux auteurs déclarent ceci:

La théorie financière nous indique que, si l’objectif d’un actionnaire est de maximiser sa richesse, alors le paiement ou non d’un dividende n’a aucune importance. En effet, le cours de bourse d’un titre baisse, toute chose étant égale par ailleurs, du montant du dividende versé.

Sabrina Chikh et Pascal Grandin

Captain economics explique très bien ce point. Le dividende est neutre sur la valeur de l’action. Un dividende fait baisser l’action donc le patrimoine reste le même. Si ce n’était pas le cas, il y aurait une opportunité d’arbitrage. C’est à dire qu’un spéculateur pourrait acheter l’action, empocher le dividende et la revendre après sans prendre aucun risque. On remarque que l’auteur conditionne l’absence d’arbitrage aux marchés efficients qu’elle admet en omettant les réserves existantes concernant cette hypothèse. Cependant, admettons cette hypothèse. Pourquoi les actionnaires veulent alors des dividendes puisque leur effet est neutre sur la valeur ?

L’explication avancée par Sabrina Chikh et Pascal Grandin est suprenante. Ils avancent comme explication des biais psychologiques:

  1. la théorie des perspectives qui valorise différemment pertes et gains,
  2. la comptabilité mentale qui traite les revenus différemment selon leur provenance et l’aversion au regret, qui ici ferait regretter l’actionnaire de ne pas toucher un revenu supplémentaire).

Il est plutôt paradoxal de voir que les biais psychologiques sont avancés comme raison de l’existence des dividendes alors que l’auteur défend l’efficience des marchés. Or cette dernière repose sur la rationalité des acteurs qui est fortement remise en cause par les tenants de la finance comportementale comme Shiller, prix nobel d’économie.

Sabrina Chikh et Pascal Grandin soulignent que le dividende est un revenu. Comme le soulignent les deux auteurs eux-mêmes, ces dividendes peuvent être réinvestis:

Les actionnaires peuvent ainsi réinvestir cet argent dans des sociétés en croissance qui ont besoin de fonds pour se développer, et ainsi permettre le développement de l’économie.

Sabrina Chikh et Pascal Grandin

Prenons comme exemple Liliane Bettencourt, héritière du fondateur de l’Oréal qui est aujourd’hui décédée. Ses revenus provenaient intégralement de placements financiers dont parmi eux les dividendes des actions de l’Oréal.

Ces revenus réinvestis représentent du capital accumulé en plus. La personne s’enrichit bien en réinvestissant les revenus issus du capital, dont font partie les dividendes. Des revenus versés sous forme de dividendes aux actionnaires sont autant de revenus en moins versés sous forme de salaire.

Faisons une expérience de pensée. Imaginons une action dont la valeur ne croit pas de façon inhérente. Elle distribue 1€ à chaque période. Au bout de 100 périodes, la valeur est de zéro. Chaque dividende est placé sur un placement sans risque avec un taux de 1% par période. Comme le montre le tableau ci-dessous, le patrimoine total au bout de 100 périodes sera de 102€.

PériodeDividendesActionPlacementIntérêtsTotal
10,00 €100,00 €0,00 €0,00 €100,00 €
21,00 €99,00 €1,00 €0,00 €100,00 €
31,00 €98,00 €2,00 €0,01 €100,01 €
981,00 €3,00 €97,00 €0,97 €101,97 €
991,00 €2,00 €98,00 €0,98 €101,98 €
1001,00 €1,00 €99,00 €0,99 €101,99 €
1011,00 €0,00 €100,00 €1,00 €102,00 €
Accumulation de capital avec une action qui devient nulle après avoir distribué tous ses dividendes dans un placement sans risque avec un taux fixe

Le processus d’accumulation du capital est au cœur de l’économie classique que ce soit avec Adam Smith, David Ricardo et évidemment Karl Marx avec sa trilogie « Capital ». Ce dernier séparait les profits (qu’il appelait « plus-value ») en « plus-value consommée » et « plus-value réinvestie » qui contribuait à l’accumulation du capital. Comme auteur récent, on peut souligner les travaux de Piketty qui ont justement mis l’accent sur le processus d’accumulation du capital comme moteur des inégalités:

Thomas Piketty (2013) met l’accent sur deux variables pour expliquer la dynamique des inégalités de richesse : le rendement sur le capital (r) et le taux de croissance économique (g). En l’occurrence, les inégalités de patrimoine auraient tendance à se creuser lorsque r est supérieur à g. En effet, la part du revenu rémunérant le capital aurait alors tendance à augmenter (autrement dit, la part du revenu rémunérant le travail tendrait à diminuer) et le ratio patrimoine sur revenu à augmenter. Comme les revenus du capital sont plus concentrés entre les mains des hauts revenus que les revenus du travail, alors cette déformation du partage du revenu national se traduit par une hausse des inégalités interpersonnelles de revenu.

Les inégalités de richesse augmentent-elles quand r > g ? , Martin Anota, 31 octobre 2017

Thomas Piketty – Le Capital au XXIe siècle – Seuil –2013 in Une crise en quête de fin – Quand l’Histoire bégaie, Rapport d’information n° 393 (2016-2017) de M. Pierre-Yves COLLOMBAT, fait au nom de la Délégation sénatoriale à la prospective, déposé le 9 février 2017, page 82

En conclusion, le dividende est neutre sur le patrimoine à court terme, quand le dividende est perçu. Cependant, il s’agit d’un revenu qui permet de consommer et d’épargner. Le dividende épargné, permet d’acquérir du patrimoine en plus, à long terme. Le dividende est le patrimoine qui devient liquide et peut être réinvesti pour accumuler encore plus de valeur.

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