La désignation de citoyens tirés au sort pour émettre un avis sur la stratégie vaccinale a été tournée en dérision. Cette attitude est une faute majeure car comme toute politique publique, la stratégie vaccinale est une question politique qui suscite des désaccords pour des questions de jugement de valeur. Une telle question politique doit être saisie par les citoyennes et citoyens en démocratie.
Le dimanche 3 janvier 2021, Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, annonce qu’il va être procédé au tirage au sort de 35 citoyens pour participer à un collectif décidé à émettre un avis sur la stratégie vaccinale du gouvernement. Cette annonce fait suite à la déclaration du président Emmanuel Macron le 24 novembre 2020 de constituer un collectif citoyen similaire à la convention citoyenne sur le climat, dans un contexte de fort vaccinoscepticisme en France. Entre temps, le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) a été saisi par Castex le neuf décembre 2021. Celui-ci avait remis deux propositions le 21 décembre 2020 :
- Une commission temporaire au sein du CESE pour organiser la consultation citoyenne
- Le tirage au sort de 30 citoyens pour constituer “un collectif de citoyens pour partager les préoccupations et interrogations de la société française“.
- Une plateforme de consultation ouverte pour permettre à tout citoyen français de remettre ses propositions
Malheureusement, nombre de commentaires de l’actualité début janvier se sont focalisés uniquement sur l’annonce de Gabriel Attal pour tourner en dérision l’idée numéro 2 à l’image de ce tweet :
Cette réaction pose deux problèmes :
- Elle travestit l’idée du collectif citoyen qui n’a pas pour but de dire comment soigner mais d’émettre un avis facultatif comme décrit sur le site du CESE :
Ses membres seront invités à émettre les questionnements du Collectif relatifs à la vaccination, que ceux-ci réfèrent aux problématiques scientifiques, sanitaires, techniques ou financières. Pourront également être exprimées les craintes, résistances ou questions liées aux enjeux éthiques de la campagne nationale de vaccination.
SAISINE SUR LA STRATÉGIE VACCINALE ET COLLECTIF CITOYEN : LE CESE DÉTAILLE LES CONTOURS DU DISPOSITIF, CESE, 21/12/2020
Il sera aussi invité à s’exprimer sur les choix de politique vaccinale et d’organisation de celle-ci, qui seront soumis au Conseil d’orientation de la politique vaccinale. Il produira également des observations, afin d’appuyer l’élaboration de recommandations que le CESE adressera à l’exécutif.
- Elle omet que la “stratégie vaccinale” est une politique publique. A ce titre, elle fait l’objet des politiques discutées par les citoyen·ne·s en démocratie. Toutes et tous sont invité·e·s à en discuter quelque soit leur compétence.
Bien sûr que s’intéresser aux fondements scientifiques de la vaccination est utile pour discuter sur le sujet. Le CESE se chargera de briefer les participant·e·s. Cependant, il faut avoir en tête que les scientifiques répondent à des questions “positives”, c’est à dire les discours sur ce qui est. En politique, il faut répondre à des questions “normatives”, sur ce qui devrait être. Il s’agit là d’une question de valeurs, bien sûr en prenant en compte le monde tel qu’il est, qui est fondamentalement subjective et peut varier selon les individus.
De plus, il n’existe pas qu’un argument éthique en faveur de l’engagement du public. Mais ce dernier est aussi essentiel pour la réussite de la vaccination :
“Comme il l’a démontré avec d’autres mesures de Covid-19 telles que les masques faciaux (Karaivanov et al. 2020), le soutien du public joue un rôle crucial dans l’efficacité des contre-mesures en cas de pandémie. Dans le cas des programmes de vaccination, où la participation du public sera essentielle pour atteindre des niveaux de couverture élevés tout en maintenant d’autres mesures préventives en place, il est essentiel d’élaborer une politique qui soit également soutenue par le grand public.”
Public preferences for prioritising a COVID-19 vaccine, Jeroen Luyten, Roselinde Kessels, Sandy Tubeuf, Voxeu, 25 November 2020
Les chercheurs Jeroen Luyten, Roselinde Kessels et Sandy Tubeuf ont étudié un échantillon représentatif de la population belge pour voir quelles étaient les préférences en termes de stratégie vaccinale. Il en ressortait deux groupes distincts :
- Les utilitaristes (54% de l’échantillon) veulent maximiser les résultats pour la santé de la société en allouant les vaccins de manière stratégique aux vecteurs de propagation du virus.
- Les prioritairistes (46% restants) veulent donner la priorité aux personnes qui courent le plus grand risque médical
J’avais vulgarisé la publication des trois chercheuses et chercheurs pour la page facebook du collectif Covid 19 fédération :
Bien sûr, le temps presse. Les discussions peuvent être cacophoniques en raison des divisions idéologiques, sociales et économiques qui clivent la population. C’est le jeu :
[La démocratie] est ce régime qui vit de son incomplétude puisqu’en accueillant l’indétermination, la démocratie se nourrit du conflit et de l’interrogation portant sur la Loi. Elle ne saurait exister sans l’existence d’une multiplicité de foyers discursifs conflictuels qui ne peuvent épuiser son sens et ses orientations.
Radicalité de Claude Lefort, Division originaire et démocratie sauvage, Martin Breaugh, Réfractions, volume 45, 2020
En temps de crise, il est tentant de casser cette source de conflictualité pour aller plus facilement droit au but. Mais ce serait sacrifier les valeurs éthique et instrumentale de la démocratie. Ce qui est dommage, c’est que le gouvernement n’ait pas mis en place la plateforme de consultation. Cette dernière pourrait être un terrain adéquat pour que les partisans d’une politique volontariste de vaccination (avec la mise en place de centres spéciaux prévus à cet effet par exemple) puissent s’exprimer. Cette expression alimenterait la réflexion du collectif citoyen et donc in fine le gouvernement dans sa prise de décision. Ce serait peut-être l’occasion de ne pas rester dans un prisme de “nationalisme vaccinal” et de penser aux pays pauvres qui risquent d’être exclus de la vaccination. Pourtant, si nous voulons éradiquer la pandémie, il faut une immunité collective à l’échelle du globe.
Le temps presse, certes, mais gardons en tête que les capacités de production de vaccins pour le moment sont insuffisantes pour répondre à la demande. Comme il n’existe aucun traitement de la maladie réellement efficace non plus, il n’y aura pas de remède rapide contre le Covid 19. Nous devrons prendre notre mal en patience, autant le faire, de manière démocratique.
En conclusion, dans un contexte de défiance vaccinale, ne regardons pas la participation citoyenne de haut. Embrassons la ! C’est un impératif d’éthique et de réussite de la stratégie vaccinale. Les choix d’allocation et de production des vaccins dans une période de pandémie qui suscite une pénurie sont politiques.
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